LA CONSTRUCTION D’UN GRAND BASSIN

ou l’éloge de la dissymétrie…


« Mythe ou réalité, le bassin a-t-il jamais existé ? Cela fait partie, quelque part, un peu du charme de l’histoire et du charme de l’histoire communale. Il y a effectivement une incertitude. Il y a des restitutions à travers des gravures historiques, il y a des écrits et il y a un certain nombre d’éléments qui laissent à penser qu’il aurait pu exister. Il a, en tout cas, été dessiné et prévu par Le Nôtre. Donc, on parachève, quelque part, l’œuvre d’André Le Nôtre qui est l’artisan du Domaine national. » Extrait CM du 17/12/2020

De quoi parlons-nous ?

De la construction d’un bassin d’un diamètre de 50 m et d’un jet d’eau d’une hauteur de 20 m, pour un budget total prévisionnel de 5 336 000 euros.

Ce bassin nous est présenté comme étant destiné à devenir le plus grand bassin d’Ile de France.

Il aura pour objectif de faire revivre l’œuvre historique, de restituer le chemin esquissé par Le Nôtre, de rétablir la perspective créée par André Le Nôtre, etc. ….

En résumé, cela nous est présenté comme la renaissance du grand bassin du temps de Louis XIV et l’occasion de redonner toute sa splendeur au Parc du Château !

Sans doute aussi, pour tenter de faire oublier le massacre engendré par le tram-train ayant entre autres généré encore récemment l’abattage de 7 hectares d’arbres, venus s’ajouter aux 35 hectares abattus précédemment, arbres dont bon nombre étaient séculaires et faisaient partie intégrante de notre patrimoine.

Qu’en est-il du point de vue historique :

A l’origine, il existait un bassin construit sous le règne de François Ier.

« En face du Vieux Château le Roy Louis XIV fit construire un nouveau jardin à la place d’un ancien qui y estoit depuis le reygne du Roy François 1er où il y avait un bassin et gerbe d’eau. »

M. ANTOINE, escuyer, porte-arquebuse ordinaire du Roy, inspecteur général de la capitainerie et maistrise des eaux et forests de Saint-Germain-en-Laye, en l’année 1728

Cet espace situé devant le château vieux, devint ensuite, durant le règne de Henri IV, un verger appelé le « Jardin du Roy », planté de mûriers et par la suite de fruitiers dont des pruniers.

J. Androuet Du Cerceau : « Vue des deux châteaux » Extrait, Londres, British Library, vers 1576

De 1661 à 1682, le roi Louis XIV passe une partie importante de son temps à Saint-Germain-en-Laye (mais également au Louvre, à Fontainebleau, à Versailles où il dispose d’un modeste pavillon de chasse qu’il apprécie énormément, etc…) et dans le Val de Loire (Chambord, Blois, Chenonceau, Amboise, etc.…).

Louis XIV sera le dernier Roi de France à résider à Saint-Germain-en-Laye. Il quitte définitivement les lieux en 1682, pour s’installer à Versailles, alors que les travaux d’agrandissement du château de Saint-Germain en Laye ne sont pas terminés. Cependant, les travaux d’aménagements intérieurs et extérieurs se poursuivirent et l’attention du Roi pour son château ne faiblit pas. En définitive, le Roi ne profita jamais des travaux faits pour lui et sa Cour.

Il faut préciser également qu’en 1683, la construction du château de Marly le Roi est définitivement achevée. Louis XIV se plaisait à dire : « J’ai fait Versailles pour ma Cour, Trianon pour ma famille, Marly pour mes amis ». Il semblait avoir oublié St Germain-en-Laye.

Les travaux d’aménagement du parterre ont vraisemblablement débuté dès 1663.

Les théories concernant la « non-existence » de ces trois bassins :

Les initiateurs de ce projet n’ont pas manqué d’assurer qu’il n’y avait aucune preuve de l’existence de ce bassin et que celui-ci n’était resté probablement qu’à l’étape de projet non réalisé ou non achevé.

Pourtant, il ne peut y avoir aucun doute concernant l’aménagement du parterre et la présence de 3 bassins qu’à fait naître André Le Nôtre, à moins d’écarter les sources documentaires et textes des historiens qui se sont consacrés à l’étude de l’histoire de Saint-Germain-en-Laye et qui ont décrit avec précision cet ensemble ainsi que les plans et les gravures représentant ce parterre.

Cette suspicion est pour le moins extrêmement surprenante.

Peut-être n’a-t-on pas suffisamment pris de temps ou voulu pousser les recherches sur ce sujet pour laisser libre cours à la propre imagination des décideurs de ce projet ?

La confirmation de la présence de ces trois bassins au XVIIe siècle :

Les états financiers :

On retrouve, sans trop de difficultés quelques éléments justifiant la présence de ses bassins dans les : « COMPTES DES BÂTIMENTS DU ROI SOUS LE RÈGNE DE LOUIS XIV »

Année 1671 – Saint-Germain-en-Laye

*15 janvier : au sr PETIT, pour son remboursement de ce qu’il a payé aux ouvriers, jardiniers et vignerons qui ont labouré et dressé les terres du nouveau jardin et parterre de Saint-Germain, fouillé le bassin d’iceluy, transporté les terres de devant l’hostel des Fermes du Roy, et autres ouvrages pour le sable de rivière qu’il a fourny pour le nouveau parterre de Saint-Germain …

*10 febvrier : à Jacques Feuillastre, à compte des ouvrages de couroy qu’il fait au bassin du grand parterre de Saint-Germain …

Année 1686 – Saint-Germain-en-Laye

*1er décembre : à Porlier, manœuvre, pour avoir vuidé l’eau dans une cave de la Surintendance provenant du premier bassin du parterre d’où elle se perdoit …

Les témoignages écrits concernant la description précise du parterre crée par André Le Nôtre :

Il existe un rapport (archives départementales) qui confirme la réalité de ces bassins et qui a été rédigé entre 1650 et 1688, donc contemporain de ces constructions, par l’intendant général des eaux et fontaines, François de Francini.

Ce rapport atteste de la présence de 3 bassins. Il nous renseigne également sur les difficultés rencontrées par F. de Francini pour la mise en eau de ceux-ci, étant donné que le plateau sur lequel a été le construit le château ne dispose pas d’approvisionnement en eau. (1)

« Mais comme on eust planté le parterre et celui du Boulingrin, trois coups de compas firent trois grands bassins, qui furent en même temps construits sans savoir où l’on prendroit du fonds pour les nourrir. … »
 « Parce que Saint-Germain estant sur le hault d’une montagne, sans eau et sans puits, il est impossible qu’il ne soit pas très-incommodé et mesme le feu beaucoup à craindre, et que le grand abreuvoir construit de neuf, ne soit ruiné par les gelées s’il n’est recouvert d’eau de fontaine qui y coule incessamment, et les bassins mesme s’achèvent de ruiner. … » 
 « Ce qui est aussi très-incommode, c’est que le grand cours des eaux estant de poterie et de ciment, estant le fontainier obligé à réparer les faultes qui y arrivent pour donner force au ciment, il fault qu’il soit sec et par ainsi beaucoup de temps, qui empesche que l’eau ne vienne à Saint-Germain. … »
 « L’abreuvoir (2) et la fontaine publique (3), de manière que ces multiplications, sans en avoir augmenté le fonds, ont apporté une telle confusion aux eaux de Saint-Germain, que tout le monde en souffre, mesme les bassins, que l’on a faicts estant le plus souvent demeurés sans eau, exposés au hasle et à la gelée, vidés par les ouvriers jardiniers et autres, sont presque tous ruinés, … »

Ainsi, au temps de sa plus éclatante splendeur, le grand Roi voyait dans les parterres dessinés par André Le Nôtre ses bassins se ruiner faute d’eau pour les remplir.

Jean Marc Antoine (1728)

Histoire des antiquités des églises, abbayes, prieurés, chasteaux, forests et autres lieux, qui estoyent dans les limites du gouvernement et capitainerie de Saint-Germain-en-LayeJ.M. Antoine (1669/1737)

« Ce jardin fut replanté en 1674 par le sieur Le Nostre l’un des plus expérimentés pour tous les jardinages qui se faisaient dans ce temps, fut estant construit en deux grandes pièces de bouis en broderie très belles avec trois bassins et jets d’eau et des allées de marronniers autour des plates-bandes garnies d’arbrisseaux séparées par une allée de dix toises de large qui conduit à la grande route des Loges de la forest. » Année 1728

Abel Goujon (1794/1834). Histoire de Saint-Germain / 1829

Dans cet ouvrage, nous avons une description complète de cet ensemble de 3 bassins :

« François 1er fit abattre, autour du vieux château, les arbres qui masquaient le point de vue; ils furent remplacés, vis-à-vis de la façade N.-O., par un jardin de peu d’étendue que  Louis XIV fit agrandir et planter en Parterre, sur les dessins de Le Nôtre ; il se composait de deux grandes pièces de buis, où étaient des bassins de quarante pieds de diamètre, placés, l’un, en face de la Surintendance, vis-à-vis du Pavillon du Château, dit de l’Horloge, et l’autre, vis-à-vis du Pavillon de l’Est

Ils étaient environnés de plates-bandes garnies de fleurs de toutes les saisons, et séparées par une allée de six toises de largeur, se dirigeant vers les Loges, et au bout de laquelle on voyait un  troisième bassin de quatre-vingt pieds de diamètre, ce jardin, entouré de contre-allées de  tilleuls et de marronniers d’Inde, qui fournissaient une délicieuse fraîcheur, était séparé de celui de la Dauphine par un bosquet charmant, par quatre rangs d’ormes et par une orangerie » garnie des arbrisseaux les plus rares. Une vaste allée de marronniers conduisait de l’extrémité du Parterre à la grande Terrasse. »

Léon de Villette, L’Industriel de Saint-Germain-en-Laye / 1874

Dans cet article, nous avons également une description précise du parterre crée par Le Nôtre :

PARTERRE

« Vers le nord du château, s’exécutent des ouvrages d’une autre nature pour rendre au parterre français à peu près les dispositions tracées par Le Nôtre, le savant architecte-jardinier de Louis XIV. On sait que c’est vers 1676 que fut tracé ce jardin qui comprenait une large avenue bordée de plates-bandes ornées de buis formant des arabesques, se détachant sur des fonds de sables de diverses couleurs. L’avenue, qui était dans l’axe du château, la prolongeait, pour la perspective jusqu’au couvent des Loges, par une ouverture taillée et plantée à la même époque, dans la forêt de St-Germain-en-Laye. Les plates-bandes étaient encadrées dans des allées de tilleuls se terminant par un grand hémicycle de marronniers, .

et trois bassins avaient été disposés, symétriquement par rapport aux avenues, pour donner de la fraîcheur à l’ensemble des plantations. Nos lecteurs ont vu assurément tous ces arrangements dans les belles estampes de Pérelle ou de Rigaud et aussi dans un plan portant la date de 1702, qu’on doit au graveur Van Loon, qui nous renseigne aussi sur la situation du joli jardin de plantes rares et précieuses, qu’on nommait le «jardin de la Dauphine » Les crédits alloués ne permettent pas de rendre au parterre tous les détails, mais « avec une grande précision »  l’on aura retracé toutes les lignes, tous les contours, fait toutes les plantations, et dans l’avenir l’œuvre de restitution pourra facilement être complétée.« 

Ferdinand de Lacombe. Le Château de Saint-Germain en Laye / 1878

« Il y a peu de temps, il restait à peine dans le parterre quelques vestiges du dessin des jardins de Louis XIV.
En 1676, alors qu’il construisait la grande terrasse, Lenôtre fit aussi le jardin. Il traça, dans l’axe de l’avant-corps de la façade du nord, une allée de 60 pieds de largeur, qui conduisait à l’avenue des Loges, que l’on avait récemment percée, en sorte que, vue du château, celle-ci semblait la continuation de l’allée.
De chaque côté, des plates-bandes de buis formant arabesques dans de vastes proportions, comme au parc de Versailles, se détachaient sur des sables de diverses
nuances. Cette décoration était encadrée par deux allées de tilleuls taillés en arcades, et conduisant à un hémicycle de marronniers, qui s’ouvrait sur l’avenue des Loges au moyen d’un perron monumental.
 Pour animer ce paysage et répandre la fraîcheur dans les jardins, Lenôtre avait creusé trois bassins circulaires. Les deux premiers de 40 pieds de diamètre étaient symétriquement opposés, en face des pavillons de l’Horloge et de l’Est.


Le troisième, de 80 pieds de diamètre, était situé à l’extrémité de la grande allée, près du perron, et contournait l’hémicycle des marronniers. L’eau s’élevait en gerbes de ces bassins, qu’entouraient des massifs de fleurs renouvelées en toutes saisons. Ce décor, dans lequel s’alliaient avec harmonie l’eau, les fleurs, les grands arbres, divisés par des allées sablées, donnait fort grand air aux abords du palais et s’accordait, par son élégance, avec sa façade imposante.
On descendait du château par plusieurs marches dans ce jardin qui se trouvait séparé de l’orangerie et d’un autre jardin, dit de la Dauphine, par un bosquet charmant et par plusieurs rangées de beaux arbres.
En 1750, on combla les bassins pour éviter des réparations devenues indispensables, et afin de continuer cette fâcheuse économie, les bosquets furent déracinés, l’orangerie démolie, et les arabesques de buis remplacées par de simples pelouses de gazons.
« 

http://www.musee-archeologienationale-amis.fr

« Sur la façade nord du château vieux, entre 1663 et 1673, les jardins réguliers sont eux réalisés sous la direction d’André Le Nôtre qui impose ici son génie. Le Grand Parterre, face au château, est alors orné de broderies et entouré de rinceaux de buis, de part et d’autre, des charmilles et une double rangée d’ormes bouchaient la vue. L’allée du Grand Parterre se prolongeait dans l’allée des loges, elle aussi crée par Le Nôtre. Les dimensions allongées des parterres et le largueur du grand bassin central avaient été calculées pour que les proportions soient harmonieuses et simulent une plus grande distance, depuis les fenêtres du roi, au premier étage du château. »

Les mesures sont toujours exprimées en « pieds »

Le pied est une unité de mesure utilisée jusqu’à la fin du XVIII siècle. Le pied utilisé en France correspondait à environ 326,596 mm avant 1668 et 324,839 mm entre 1668 et 1799.

Les gravures :


Veue et perspective du vieux Château de Saint-Germain en Laye du costé du Jardin »
Pierre AVELINE – ca 1686-1695 MAN


St GERMAIN EN LAYE du côté du jardin est la plus large façade des cinq qui en composent le pourtour, et dans laquelle est l’Apartement du Roy, dégagé en dehors par un balcon de fer doré qui règne alentour. La terrasse qui a esté faite devant la Contre-escarpe du fossé, sert pour passer de la cour des cuisines dans le Parc, et aller au mail qui a esté fait depuis peu sur le dessein de Mr Le Notre, ainsi que le parterre avec les 3 fontaines. A Paris chez N. Langlois, Rue St Jacques à la Victoire. Avec Privilège du Roy. Fait par Perelle

Il est possible d’attribuer ce dessin à Adam Pérelle puisqu’il semble être le seul de la famille Pérelle à avoir été édité chez Nicolas Langlois ( arts-graphiques.louvre.fr/)

Les plans :


François d’Orbay, Extrait plan du château et des jardins de Saint-Germain-en-Laye Entre 1669-1675

Château et ville de Saint-Germain-en-Laye Nicolas de Fer vers 1702

Gravure du plan général de la ville de Saint-Germain-en-Laye d’après H. van LOON exécuté en 1702

Plan général de Saint-Germain-en-Laye au XVIIe siècle- Extrait, par G. Boissaye du Bocage vers 1709

Carte des chasses du Roi – Carte topographique des environs de Versailles dite aussi des Chasses Impériales, levée et dressée de 1764 à 1773 par les ingénieurs géographes des Camps et Armée- Extrait

L’on constate sur cette dernière carte dressée après 1750, la disparition des bassins.

Le plan qui étaye la thèse de la non-construction des bassins :

« Un autre plan non précisément daté du XVIIIème siècle de P.P.J. Jossigny et Duparc, conservé aux Archives des Yvelines (Cote : 2Fi 70), montre à l’inverse un vide à l’emplacement des 3 bassins et une forme différente des parterres pour s’en accommoder. Ce plan étaye la thèse des tenants de la non-construction des bassins … »

Extrait : Un tramway nommé désir : recréation du grand bassin de Le Nôtre (Saint-Germain-en-Laye) | Muse Baroque – Musique & Arts baroques


P.P.J. Jossigny et Duparc XVIIIe s. Extrait – Encre et aquarelle sur papier

Il est toutefois utile de préciser que Paul Philippe SANGUIN de JOSSIGNY  est né en 1750, ce qui explique qu’il n’ait pu représenter des bassins qui ont été détruits l’année de sa naissance !

« Il existe aux Archives des Yvelines (cote 2Fi 70) un plan de Saint-Germain-en-Laye de 40 × 25 cm portant la signature des deux ingénieurs : en bas à gauche Duparc f., en bas à droite Par P. P. S. Jossigny.

Ce plan sur papier, réalisé à l’encre de Chine et à l’aquarelle, n’a pu être réalisé qu’entre juillet 1776 et mars 1778 »

Bour R. 2015. — Paul Philippe Sanguin de Jossigny (1750-1827), artiste de P. Commerson.

Les bassins :

Les trois bassins étaient insérés dans un triangle composé de 2 petits bassins situés devant le château (dont l’un a été rétabli) et d’un plus grand bassin situé à l’extrémité de la grande allée.

Les 2 premiers bassins étaient d’un diamètre de 40 pieds et le bassin situé à l’extrémité était d’un diamètre de 80 pieds. La dimension de ce dernier bassin n’était pas due au fruit du hasard mais le résultat de savants calculs, discipline parfaitement maitrisée par Le Nôtre. L’objectif était que l’on découvre, à partir du Château, 3 bassins de taille et de forme identiques en accroissant la taille du bassin le plus éloigné. Il n’y avait donc aucune fantaisie dans la détermination de la taille des bassins. De même, par effet d’optique le bassin situé à l’extrémité était rond vue des fenêtres royales alors que son tracé était de forme légèrement ovale comme cela est visible sur les gravures.

André Le Nôtre avait l’art de maitriser la symétrie, l’ordre, la rigueur et il avait le génie de jouer avec les effets d’optique et de perspective. Il a laissé derrière lui de nombreux jardins aménagés « à la française » reconnaissables par leurs perspectives et leurs géométrie parfaites. C’était cela la « Touche Le Nôtre ».  Rien n’était dû à une fantaisie quelconque.

Le Nôtre a utilisé sa maîtrise de la perspective optique, en combinant l’usage de deux procédés : les collimations et l’anamorphose. Les collimations sont des alignements visuels ; pour les obtenir, il faut coordonner distances et niveaux, ce qui définit les terrassements à opérer. L’anamorphose, quant à elle, sert à compenser la diminution apparente des parties lointaines : plus les formes sont éloignées, plus elles doivent être allongées et élargieshttp://www.chateauversailles.fr
« Je suis dans la continuité d’André Le Nôtre, il travaillait sur les perspectives et les lignes de fuite. Les bassins circulaires du Grand canal donnaient l’impression, depuis le château, d’avoir tous la même taille. Il n’en est rien en réalité. » François ABELANET : Architecte, scénographe, décorateur, spécialiste de l’anamorphose qui a réalisée en 2009, l’exposition : Globe et cube géants dans les jardins du château de St-Germain-en-Laye
Ce jardinier se distingue de tous les autres parce qu’il est le premier à appliquer les mathématiques et la géométrie dans la conception de ses jardins. Ainsi, il plante des arbres et construit des allées et des fontaines, en respectant scrupuleusement le principe de la symétrie. Quand on regarde ses jardins, on a ainsi l’impression qu’il y a des miroirs partout ! Il fait également très attention à ce que ses jardins s’étendent de manière visible sur de grandes distances et depuis plusieurs étages. C’est ce que l’on appelle le principe de la perspective. En résumé, il construit des paysages très ordonnés et organisés, ce qui est moderne à l’époque. https://www.1jour1actu.com/france/andre-le-notre

Les plates-bandes :

On sait également que les plates-bandes séparées par une allée de 6 toises, étaient constituées de deux grandes pièces de broderies de buis formant des arabesques se détachant sur des fonds de sables de diverses couleurs.

Les contre-allées étaient plantées de tilleuls. Des topiaires étaient présentes aux extrémités et sur les bordures des plates-bandes.

« Monsieur Le Nostre est icy avec plusieurs ouvriers pour faire le parterre en face du bout de la grande galerie de l’appartement du roy, ou estoit un plan de pruniers que l’on a abattu.

La terre est esplanie, et on commencera demain, jeudy, à planter le buis. »

Ainsi s’exprime Louis Le Vau, dans une Lettre à Colbert envoyée de Saint Germain le 11 avril 1663.

Absence de trace de canalisations :

Durant les travaux de mise en place du RER, il semble que l’on n’a trouvé aucun fragment de conduites, ce qui renforce la thèse de l’inexistence de ces bassins. Néanmoins, il convient de rappeler que cet espace a subi de nombreux travaux antérieurs dont l’implantation du chemin de fer, lorsqu’il fut prolongé du Pecq à St Germain en Laye en 1846 et qu’une partie de cet espace fut détruite, mais aussi lors de la restauration du parterre entreprise par E. Millet et son jardinier-chef L.F. Divary en 1872.

Que s’est-il passé après 1750 :

Les 3 bassins ont été comblés en 1750, probablement remplacés par des massifs de fleurs. Un des massifs a été supprimé lors de la construction de la gare du chemin de fer vers 1846.

Vers 1972, suite à la destruction de la gare, il fut construit un bassin en remplacement du massif détruit en 1846.


St -Germain-en-Laye L. Carle – cartographe / 1888 – Extrait

L’ancienne gare


Construction de la gare RER A


Conclusion :

Ce qui est certain :

-Il existait déjà un bassin du temps de François Ier.

-Les travaux ont débuté en 1663 comme cela est attesté par le courrier adressé par Le Vau à Colbert, mentionnant l’abattage des pruniers qui occupaient cet espace. La rénovation du parterre a pris fin en 1674 comme mentionné dans le texte de JM. Antoine.

-Les bassins étaient toujours en fonctionnement le 1er décembre 1686 selon les Comptes des bâtiments du Roi sous le règne de Louis XIV, comme l’atteste les travaux réalisés le 1er décembre de cette même année.

-L’ensemble était composé de 3 bassins et non de 2 !

-En raison des difficultés d’approvisionnement en eau, les bassins n’ont été que très rarement mis en eau.

-Les 3 bassins ont été probablement comblés en 1750.

Les dimensions de ces 3 bassins n’étaient pas dues au hasard mais le résultat de savant « calcul » dont A. Le Notre était maître et avec pour objectif de compenser la diminution apparente du bassin le plus éloigné pour donner l’impression que les 3 bassins visibles du château étaient de même taille. Cela s’appelle la « Perspective », une spécialité de A. Le Nôtre !

-Les plates-bandes étaient composées de buis taillés en broderie et ayant la forme d’arabesques ainsi que de topiaires situées en bordure et non de gazon !

-Des sables de couleur différentes ornementaient ces 2 plates-bandes.

-Le diamètre du bassin qui sera construit ne correspond pas à celui de Le Nôtre qui était de 80 pieds, soit environ 25 m (et de 40 pieds pour les 2 petits bassins).

Voilà précisément a quoi ressemblait le parterre crée par André Le Nôtre et voulu par Louis XIV,

trois bassins et deux plates-bandes en broderie de buis

Aménagement que vous ne contemplerez pas !


Château de Saint-Germain-en-Laye — Wikipédia (wikipedia.org) / Franck Devedjian

Restitution de la vue sur le grand parterre du château vieux de Saint Germain au temps de Louis XIV, tel qu’il a été conçu par André Le Nôtre et par rapport aux documents d’époque.

Que découvrirons nous en mars 2022 ?

  • Dans le projet qui nous est présenté, on peut noter que l’un des bassins situés près du château ne sera pas reconstitué et restera un espace fleuri tel qu’il est actuellement. Pourquoi ?
  • Un monumental bassin d’un diamètre de 50 m, qui se veut devenir le plus grand d’Ile de France. Cette dimension, altérera la perspective conçue par André Le nôtre. Pourquoi ?
  • Les plates-bandes quant à elles resteront engazonnées. Oubliées, les deux grandes pièces de broderies de buis formant des arabesques se détachant sur des fonds de sables de diverses couleurs. Pourquoi ?

Pourquoi dépenser une telle somme (+ de 5 millions d’euros) dans une période de grave crise économique découlant de la crise sanitaire ?

L’Etat, la région, le département, la ville et quelques donateurs privés font ils preuve de bon sens en finançant cette fantaisie dispendieuse alors que le patrimoine historique de notre pays est en souffrance ?

La restauration et la conservation de l’existant ne devrait-il pas être une priorité ?

Est-ce vraiment utile de dépenser autant d’argent public pour un tel projet, en période de crise ?

La prudence budgétaire ne devrait-elle pas être le « dessein » de la ville ?

Dans tous les cas, s’il s’agit d’un projet présenté comme « audacieux et ambitieux », le bassin ne correspondra en aucun cas au « dessein » achevé de A. Le Nôtre.

Il n’est pas justifié d’évoquer une reconstitution de la perspective d’A. Le Nôtre, voire de l’aboutissement de l’axe historique et surtout de mêler le nom de André Le Nôtre et celui de Louis XIV à tout cela !

Nos élus en votant cette délibération auraient surement fait preuve d’un grand mérite en y sursoyant ou en y renonçant, même s’il s’agissait d’un engagement de campagne pris avant la crise.

En fin de compte, le parterre ne disposera que de 2 bassins ne correspondant pas aux dimensions initiales, les plates-bandes ne seront pas reconstituées à l’identique et la perspective si chère à A. Le Nôtre ne sera pas rétablie.

La ville y gagnera-t-elle en prestige ?

« on parachève, quelque part, l’œuvre d’André Le Nôtre »

On ne parachève pas ce qui a été réalisé par un Maître, on ne l’améliore pas non plus, au mieux on le pastiche.

En fait, cela ne sera qu’une création bancale, bien éloignée de l’œuvre de André Le Nôtre et essentiellement une dissymétrie offensante à son génie, qui aurait assurément fortement déplu à l’œil avisé de Louis XIV.

Chantal Aveline Buron

Le partage des connaissances, la transmission et l’échange des informations sont essentiels. Toutefois, ce texte qui représente de nombreuses heures de recherche ne peut être utilisé sans l’accord de l’auteur.

Lexique :

(1) « Parce que Saint-Germain estant sur le hault d’une montagne, sans eau et sans puits » Raison pour laquelle le plateau de Saint-Germain-en-Laye a été peuplé très tardivement, aux environs du IX siècle, alors que les villages environnants (Saint Léger, Feuillancourt, Hennemont, Fourqueux, Le Pecq, etc… ) étaient déjà habités depuis la préhistoire.

(2) Cet abreuvoir était situé à l’entrée de la rue du Vieil-abreuvoir

(3) Les habitants n’avaient alors qu’une seule fontaine publique, dite de la Pyramide, élevée en 1550, sur la place de l’actuelle église

Personnes citées :

Jacques  Androuet du Cerceau (1515/1535), est un graveur et architecte français de la seconde moitié du XVIe siècle, plus célèbre pour ses gravures d’architecture et ses publications que pour ses constructions. 

François de Francini (1617/1688). On sait de lui qu’il succèdera à son père en 1651, en héritant de la charge d’intendant des eaux et fontaines. Pendant plus de vingt années, il travaillera avec André Le Nôtre à l’installation des bassins, fontaines et jeux d’eau, notamment du parc de Versailles et des châteaux environnants. C’est à lui que nous devons la création en 1672, des premiers tuyaux de fonte de France.

« Intendant Général des Eaux & Fontaines du Roy, & des Maisons Royales, & de la conduite des eaux de Rungis, M. François de Francini-Grand-Maison, & François son fils en survivance. Il ordonne pour le fait des eaux, grottes, mouvements, artificiels d’eau, à tous les ouvriers, de ce qu’ils ont à faire. Il a inspection sur les eaux de Saint Germain en Laye, Fontainebleau & autres Maisons Royales. Il a sous lui des Officiers à Paris, qui ont soin des aqueducs. Il a de gages 3000. Livres. »

L’Etat de la France, maison du roi – N. Besongne / 1683

Son père, Thomas Francini (citoyen de Florence, venu en France vers 1597/1598). Il s’est installé à St Germain en Laye à la demande de Henri IV pour agrémenter de fontaines et réaliser les nombreux aménagements hydrauliques (fontaines, grottes, jeux d’eau, automates, etc …) du château neuf.

Il est décédé en avril 1651 et a été inhumé à St germain en Laye au couvent des Récollets dans la chapelle qu’il avait édifiée.

« Premièrement, comme bon crestien, je prie le doux sauveur Dieu me faire la grâce que le reste que j’ai à vivre soit en son honneur et gloire et observant ses saints commandements comme catholicque, appostolique et romain, pour estre mon corps inhumé, lorsqu’il sera séparé d’avec mon âme, en la chapelle que j’ay faict bastir en l’église des Récolez de Saint-Germain-en-Laye, sans auccune sérémonie extraordinaire, mais seullement recommande que l’on fasse bien prier Dieu pour mon âme. »

Réunion des sociétés savantes des départements de la Sorbonne / Section beaux-arts / F. Chauvat

Jean Marc Antoine (1669/1737) est né à St-Germain-en-Laye le 22/10/1669 et est décédé à Versailles, Porte arquebuse du roi (1682), inspecteur des gardes de la capitainerie de Saint-Germain. Il était le fils de Jean Antoine, anobli par lettres patentes de Louis XIV 1642-1724 (Porte-arquebuse du Roi (1677) et garçon de la Chambre, gouverneur des petits chiens, inspecteur des gardes de Saint-Germain en 1688).

Pierre Aveline (1656/1722) Chef d’une famille d’artistes, dont ses deux fils, Pierre-Alexandre er Antoine. Graveur, éditeur et marchand d’estampes installé sur le Petit-Pont dès 1676. Spécialisé dans les vues topographiques, il obtient en 1686, le privilège pour 10 ans de graver, imprimer et vendre 115 vues des Maisons royales qu’il céda à Nicolas de Poilly en 1685.

Gabriel Perelle (1604/1677) Graveur, il était également directeur des plans et cartes du cabinet du roi. Gabriel Pérelle, se faisait aider dans son travail par ses deux fils Nicolas (1625-1692) et Adam (1638-1695) 

Jacques Rigaud (1680/1754) dessinateur et graveur

Herman Van Loon, graveur et éditeur au Pays-bas. Il s’installe à Paris en 1686 où il travaillera pour de Fer, de Lisle et Nolin

Nicolas de Fer (1647/1720) graveur, géographe titré du Roi de 1687 à 1720

Georges Boissaye du Bocage (1626-1696), hydrographe du roi, premier professeur de l’Ecole royale d’hydrographie du Havre à partir de 1666 et auteur de plusieurs cartes marines de l’embouchure de la Seine et de la côte du Havre à Saint-Valery-Sur-Somme.

François d’Orbay, mort en 1677, est un architecte et graveur français. Il était maître maçon du roi et entrepreneur de ses bâtiments. Il recevait comme maître maçon du roi 30 livres de gages (1669 à 1677). Il était syndic des maîtres maçons de Paris. 

Paul Philippe Sanguin de Jossigny était un militaire qui commença sa carrière à l’Isle de France (aujourd’hui île Maurice) comme aide de camp du gouverneur et la termina comme capitaine et ingénieur, avant de rentrer à Paris. Succédant à Duparc, Jossigny devint par intérim ingénieur en chef, avec un complément de traitement extraordinaire de 1600 livres. Séjourna à Bourbon en 1773
Né le 1er mai 1750 à Paris et est baptisé à Saint-Eustache. Décédé le 19 novembre 1827 à Paris

Louis Le Vau (1612/1670), architecte. Ce fut l’un des créateurs du style « Louis XIV » et fit construire des jardins et des bâtiments du style baroque.

Carte des chasses du Roi : Carte topographique des environs de Versailles dite des Chasses Impériales, levée et dressée de 1764 à 1773 par les ingénieurs géographes des Camps et Armées, commandés par feu M. Berthier, Colonel, leur chef ; terminée en 1807 par ordre de Napoléon, Empereur des Français, Roi d’Italie et Protecteur de la Confédération du Rhin, pendant le Ministère de S.A.S.M. le Maréchal Alexandre Berthier, Prince de Neuchatel, Grand-Veneur, Grand Aigle de la Légion d’Honneur, etc. etc., sous la direction du Général de Division Sanson / Gravé par Doudan, Tardieu l’ainé et Boudet

Sources :

*Comptes des bâtiments du Roi sous le règne de Louis XIV. Colbert, publ. par Jules Guiffrey / 1664-1680

*La Géométrie pratique de A. Manesson-Mallet /1702

*Histoire des antiquités des églises, abbayes, prieurés, chasteaux, forests et autres lieux, qui estoyent dans les limites du gouvernement et capitainerie de Saint-Germain-en-Laye / JM. Antoine / 1728

*Histoire de Saint-Germain / Abel Goujon / 1829

*Promenade historique et pittoresque à Saint-Germain-en-Laye / 1834

*Précis historique de Saint-Germain-en-Laye- Rolot et de Sivry / 1857

*Le Château de Saint-Germain en Laye / Ferdinand de Lacombe / 1868

*L’Industriel de Saint-Germain-en-Laye / Léon de Villette / 1874

*Nouveau guide du promeneur à Saint-Germain en Laye / Paul Guégan / 1879.

*Notice historique sur le château de Saint-Germain-en-Laye / Étienne Desforges / 1883

*Les Châteaux Royaux de Saint-Germain-en-Laye 1124-1789 : étude historique d’après des documents inédits, recueillis aux Archives Nationales – Bibliothèque Nationale -GL. Houdard / 1909

*André Le Nostre : étude critique / Jules Guiffrey / 1913

*Saint-Germain-en-Laye, Poissy, Maisons, Marly-le-Roi / Paul Gruyer / 1922

*Le château de Saint-Germain-en-Laye / Georges Lacour-Gayet /1935

*Basiliques et palais du Roi. Architecture et politique à la cour de Henri IV- E. Lurin  / 2012 

*Les grandes eaux de Louis XIV à Saint-Germain-en-Laye – E. Faisant / 2016

*www.sciencepress.mnhn.fr

*www.musee-archologienationale-amis.fr/lenotreparterre

*www.institutparisregion.fr

*Non au bassin de Saint-Germain-en-Laye, oui à Chantilly et à Vaux-le-Vicomte ! – La Tribune de l’Art / 2021

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